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Thursday, July 23, 2020

Animaux domestiques : sur la place, abandonnés - Libération

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C’est une aire le long de l’autoroute du soleil, un peu à l’écart de la circulation. Un chien blanc gambade sur l’herbe, puis d’un bond grimpe dans la voiture pour reprendre la route vers le sud. Les grands jours de départ en vacances, près de 80 000 voitures passent quotidiennement dans le district de Pouilly-en-Auxois, à hauteur de Dijon. Le secteur où Bruno Chapel, employé des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), fait sa patrouille quotidienne. Le quinqua habillé de fluo trouve de tout sur les accotements et les aires de repos : drogue, vieilles voitures abandonnées, marchandise subtilisée à des camions éventrés, touristes qui ne sont pas montés à temps dans le car, maris encore rougis par une dispute conjugale… Et parfois, un chien, la peau sur les os ou la peau lacérée à force d’avoir tiré sur le fil qui le retient à un arbre.

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«Il était gentil et avait l’air résigné»

La dernière fois, c’était l’été dernier. Un peu en retrait du parking, sous les bois où transpercent les rayons du soleil, Bruno Chapel découvre un chien attaché à une barrière, maintenu par une ficelle. Rien à boire ni à manger. «Je l’ai caressé, il était gentil et avait l’air résigné», décrit-il, l’air ahuri. La gendarmerie emmène l’animal chez le vétérinaire. «Comme il était âgé, il y avait un risque que le refuge ne le garde pas et qu’il soit euthanasié», s’émeut celui qui demande ce jour-là à repartir avec le chien. Bruno le propose à un couple de jeunes retraités de sa ville, prêts à accueillir celui qu’ils baptisent Tomy. Il sourit : «On se croise de temps en temps, je suis content pour lui.» Ses collègues surnomment Bruno Chapel «l’ami des animaux». Ou «le saint-bernard des routes».

Avec trente ans de métier, le patrouilleur a des histoires à raconter. Celle où il tombe sur un chat, dont il reconnaît la bouille - la même que les avis de recherche scotchés sur les lampadaires de l’aire d’autoroute - et qu’il recueille avant de le rendre à son maître. Il se souvient de cette famille qui loue un gîte près de l’aire où leur compagnon a disparu pour pouvoir partir à sa recherche tous les jours. Bruno évoque aussi cette voiture qui avait démarré en trombe sitôt le chat descendu. Le bonhomme se garderait bien de fliquer les voyageurs en flagrant délit : «On ne sait jamais sur qui on tombe…» Il estime avoir trouvé au total une quinzaine d’animaux abandonnés. Dont deux l’été dernier. «Multiplié par le nombre de collègues, ça fait beaucoup.»

A l’échelle nationale, les associations estiment que 100 000 animaux sont abandonnés chaque année. Leur nombre tend à augmenter légèrement, mais moins vite que les adoptions. La SPA en recueille près de 46 000, dont 15 000 sur les deux mois de vacances estivales : le pire moment de l’année pour les animaux domestiques, avec la période de Noël. Ils sont de tous âges et de toutes tailles, et parmi eux, il n’y a pas que des chiens et des chats. On parle peu des lapins et des rats de compagnie, qui s’évaporent dans la nature et échappent à l’attention des patrouilleurs et aux statistiques. On retrouve aussi des furets en cage. L’an dernier, un serpent a même été découvert sur l’A36. Ils sont généralement déposés à l’abri des regards, dans les aires verdurées des campagnes.

Quand les cages sont saturées, c’est l’euthanasie

La première fois qu’il a été confronté à un abandon, Bruno avait 15 ans. Sa famille avait recueilli le chien quelques jours, le temps de lui trouver un maître. Aujourd’hui, le patrouilleur n’a plus le droit d’en prendre à son bord : la bête est prise en charge par les gendarmes puis un vétérinaire. Quand l’animal est identifié par une puce ou un tatouage sur l’oreille, on remonte jusqu’aux propriétaires. Généralement, les maîtres reviennent le chercher, intimidés par l’amende qui peut théoriquement atteindre 30 000 euros et deux ans d’emprisonnement. Sauf qu’il n’y a pas toujours de puce. Parfois, l’oreille est coupée. L’étape suivante est la fourrière, où le maître a huit jours ouvrés pour recueillir son animal. Au neuvième jour, la bête est placée dans un refuge comme la SPA. Elle en héberge entre 7 000 et 10 000, mais quand les cages sont saturées, pas le choix : c’est l’euthanasie.

C’est sans compter ceux qui meurent avant d’être recueillis. Le 23 décembre 2018, un chien avait été retrouvé dans un bois du Tarn-et-Garonne, mort d’épuisement et d’hypothermie, encore attaché à sa laisse. Sa propriétaire, âgée de 28 ans, avait nié toute responsabilité. Elle a été condamnée à six mois de prison avec sursis. «Un animal domestique ne survit pas en pleine nature», martèle Jacques-Charles Fombonne, le président de la SPA. «Il y a des chiens tellement traumatisés qu’ils sont "irrécupérables"», complète Nicolas Contant, chef de la communication digitale des autoroutes Paris-Rhin-Rhône. Depuis quatre ans, il organise une campagne de dons pour l’association qui vit uniquement de ces oboles et des frais d’adoption - entre 150 et 300 euros selon l’animal. Objectif de l’été 2020 : récolter 40 000 euros, en invitant les internautes à partager les posts d’APRR concernant l’abandon sur les réseaux sociaux. A chaque partage, la société reverse 1 euro à la SPA. Les vacanciers peuvent également flasher un QR code avec leur téléphone où s’affiche la vidéo d’un patrouilleur racontant sa triste découverte. L’enjeu est de frapper les esprits. Bruno Chapel, lui, poursuit son travail de fourmi le long de l’autoroute du soleil. «Avec le temps, je me suis endurci», assure-t-il en précisant que malgré tout, le choc reste à chaque fois le même.

Fanny Guyomard Envoyée spéciale à Pouilly-en-Auxois


July 23, 2020 at 11:11PM
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