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Friday, August 28, 2020

Le référendum pour les animaux : trois défis pour notre démocratie - Libération

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Tribune. La question animale connaît depuis plusieurs années un intérêt croissant de la part des Français et atteint aujourd’hui un large degré de consensus dans la population française, dépassant les nombreux clivages sociaux et politiques habituels. Longtemps délaissée des politiques de tous bords, la question animale est devenue un enjeu de société majeur, dont de plus en plus d’élus cherchent à se saisir.

Pourtant, aux aspirations des Français en matière de bien-être animal s’oppose un manque d’ambition de la part du pouvoir législatif et du gouvernement qui alimente en retour un mécontentement grandissant envers le système politique. Face à ce manque de concrétisations politiques, un mouvement issu de la société civile, porté notamment par le journaliste Hugo Clément et des associations de défense des animaux, demande, depuis début juillet, l’organisation d’un référendum sur la condition animale en France.

Ce référendum d’initiative partagée, qui nécessite le soutien de 185 parlementaires, est représentatif de trois grands défis auxquels fait face notre système politique actuel : la demande croissante des citoyens à davantage participer aux prises de décision, le sentiment d’un manque de représentativité des élus et du gouvernement ainsi que la très forte influence des lobbys dans la prise de décisions publiques.

Pour un renouveau démocratique

Le premier défi que représente le référendum pour les animaux est celui du renouveau démocratique. Depuis plusieurs années déjà, les aspirations citoyennes en faveur de mécanismes de démocratie directe se font de plus en plus présentes. Ces demandes ne sont certes pas nouvelles – elles sont d’ailleurs défendues dans l’article 3 de la Constitution – mais elles ont connu une forte résurgence avec le mouvement des gilets jaunes.

Cependant, ces aspirations au renouveau démocratique se heurtent à une volonté très forte d’une partie importante de la classe politique de ne pas se voir dessaisie de ses prérogatives, au risque de donner l’impression de favoriser l’immobilisme législatif au détriment du consensus social. Les initiatives de démocratie plus participative, comme la récente Convention citoyenne pour le climat, se veulent certes innovantes mais font face ici aussi au refus des responsables politiques d’appliquer leurs recommandations.

Ainsi, toutes les tentatives récentes du pouvoir souverain de s’exprimer directement sur des choix économiques (impôt sur la fortune), sociaux (retraites) et environnementaux (Convention citoyenne pour le climat) majeurs se sont vues opposer un refus par ses représentants.

Dans un pays connaissant des taux d’abstention inquiétants, le refus de la classe politique de donner le choix à ses électeurs de manière plus directe fait courir le risque d’aggraver la méfiance envers les institutions. Le référendum pour les animaux représente, à cet égard, une opportunité d’enrayer cet engrenage de défiance. Il constitue l’un des référendums les plus attendus par la population, devant les questions de légalisation du cannabis, d’appartenance à l’Union européenne ou encore de rétablissement de l’impôt sur la fortune (Sondage Ifop, 2020).

La classe politique à la traîne

Le deuxième défi que pose le référendum est celui de la représentativité des responsables politiques. Alors que 73% des Français se déclarent en faveur de la tenue d’un référendum pour les animaux, la classe politique ne semble pas partager ces préoccupations. Les relations étroites qu’entretiennent les membres du gouvernement avec le monde de la chasse en témoignent. Alors que Barbara Pompili, nouvellement nommée ministre de la Transition écologique, annonçait en juillet vouloir mettre un terme à la chasse à la glu en France afin de se mettre en conformité avec le droit européen, plusieurs membres du gouvernement prenaient le contre-pied.

Le président de la Fédération nationale des chasseurs recevait, dans un premier temps, le soutien du Premier ministre et du président de la République, avant qu’Emmanuel Macron ne décide finalement de se mettre en conformité avec le droit européen. Au même moment, le ministre de la Justice prenait également le parti du président des chasseurs en préfaçant son livre plaidoyer pour la chasse, préface dans laquelle il y critique les «ayatollahs de l’écologie». Le soutien d’Emmanuel Macron et Jean Castex à des pratiques de chasse pourtant décriées par une large majorité de la population et l’aversion publique du ministre de la Justice pour les associations de défense des animaux pourtant très populaires alimentent l’idée d’une déconnexion entre les aspirations de la population et celles du gouvernement.

Plus préoccupant encore, cette déconnexion semble se retrouver sur tous les sujets portés par le référendum pour les animaux (élevage intensif, chasse, élevage d’animaux à fourrure) et risque de renforcer le sentiment des Français d’un manque de représentativité de la part de leurs dirigeants.

Contre l’influence des lobbys

Le troisième défi qu’adresse le référendum pour les animaux à la classe politique est celui de la très forte influence des lobbys dans la prise de décisions publiques. La démission de Nicolas Hulot de son poste de ministre de l’Environnement, en réaction à l’omniprésence des lobbys de la chasse dans les réunions ministérielles, avait mis à jour l’influence préoccupante des groupes d’intérêts privés dans les plus hautes sphères du pouvoir.

Les multiples prises de position du gouvernement à l’encontre des avancées en matière de bien-être animal et à rebours des recommandations scientifiques, comme sur les repas végétariens dans les cantines ou l’obligation d’étiquetage des produits dérivés à base d’œufs, ont renforcé l’idée d’une décision publique avant tout portée par les intérêts des lobbys, au détriment de l’intérêt général et des préférences de la population.

Le risque politique principal du référendum pour les animaux serait de voir que des propositions politiques aussi consensuelles dans la population – 73% des sondés se prononcent pour un référendum –, échouent à trouver une concrétisation politique face au pouvoir des lobbys. Un tel échec risquerait de nourrir le sentiment d’impuissance des électeurs à pouvoir se saisir du destin commun face à des lobbys qui donneraient l’impression d’être davantage écoutés par les décideurs publics.

Le référendum pour les animaux est ainsi un projet politique test pour le pouvoir politique actuel, en ce qu’il cristallise de nombreuses frustrations envers la classe politique actuelle : l’impossibilité des Français à s’exprimer directement sur les sujets politiques, le fossé entre les aspirations des Français et celles portées par le gouvernement et le sentiment d’impuissance de la population face aux lobbys dans la prise de décisions publiques.

Romain Espinosa Chargé de recherche au CNRS, Centre de recherche en économie et management à l’université Rennes-I


August 27, 2020 at 10:19PM
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